L’histoire de la vigne et du vin est si ancienne qu’elle se confond avec l’histoire de l’humanité…
L’étude descriptive de la vigne s’appelle l’ampélographie et a pris véritablement essor au XIXe siècle.
Vitis et cœtera…
Les espèces de vignes qui font partie des Vitaceae sont désignées par le terme générique de Vitis. À l’état sauvage, la vigne pousse dans trois grandes régions du monde : l’Amérique du Nord et centrale, l’Asie et l’Europe.
Il existe plusieurs espèces de vignes sauvages :
- Vitis riparia,
- Vitis rupestris
- Vitis labrusca,
- Vitis berlandieri
- …
D’origine européenne et ouest-asiatique, Vitis vinifera est l’espèce qui nous intéresse plus particulièrement puisqu’elle est l’ancêtre sauvage de la plupart des vignes cultivées.
Distinguons deux sous-espèces :
- Vitis vinifera subsp. sylvestris
- Vitis vinifera subsp. vinifera
Vitis vinifera subsp. sylvestris désigne la plante à l’état sauvage, on l’appelle communément lambrusque ou vigne sauvage. Cette vigne sauvage, encore nommée « lambrusque vraie », est une liane qui pousse souvent en lisières de forêts et s’élève dans les arbres en recherche de la lumière du Soleil. Les pieds de la vigne sauvage sont sexués. Les grappes de la vigne sauvage portent de petites baies rondes et noires, au goût acide, qui mûrissent les unes après les autres. Sa répartition géographique s’étend du pourtour méditerranéen à la quasi-totalité de l’Europe occidentale.
Vitis vinifera subsp. Vinifera désigne la vigne cultivée. Au cours des siècles, les hommes ont réalisé des sélections favorables à sa culture :
- Hermaphrodite
- Graines et grappes plus grosses
- Propriétés gustatives (sucrosité, acidité…)
Cette pratique a permis qu’apparaissent progressivement les premiers cépages de vigne, lesquels ont été transportés et disséminés autour de la Méditerranée par les Phéniciens, les Grecs puis les Romains.
En Europe occidentale, les cépages sont issus de ces pratiques de sélections et de croisements entre plants sauvages locaux et plants déjà sélectionnés et de semis.
Les cépages de la préhistoire, de la protohistoire et de l’Antiquité n’ont plus grand-chose en commun avec les cépages d’aujourd’hui, Pline l’Ancien (30-79) dans son Histoire naturelle avait identifié une petite centaine de cépages.
La palette des cultivars (terme botanique désignant les variétés d’espèces végétales obtenues par croisement et cultivées) s’est considérablement étendue au cours des siècles. On en compte actuellement quasiment 6 000 variétés cultivées (désignées comme cépages en viticulture) à travers le monde. Un peu plus de 200 d’entre elles ont été cultivées ou sont encore cultivées en France.
Un peu d’histoire :
Durant l’Antiquité le commerce des vins méditerranéens est particulièrement prospère et est une des raisons premières de l’expansion et de l’implantation de colonies romaines en Gaule notamment dès le 1er siècle par l’implantation des vignobles de la (voie) Narbonnaise. La production viticole de cette région atteindra son apogée au milieu du IIe siècle.
Les amphores portaient des inscriptions, des tampons et des timbres indiquant le type de breuvage qu’elles contenaient et son origine. La définition de nos AOC modernes avant l’heure !
L’implantation de vignobles plus septentrionaux en Gaule va s’étendre assez rapidement au gré des échanges commerciaux et sera une réponse locale pour pallier aux importations vinicoles méridionales aux prix très élevés.
Burdigala pendant ce temps-là…
L’Antique Burdigala (actuelle ville de BORDEAUX) et sa région, suite à la Guerre des Gaules, avait vu l’implantation d’une partie du peuple Bituriges, qui sera désigné par Pline L’Ancien comme étant les « Bituriges libres surnommés Vivisques ».
Les Bituriges Vivisques, peuple commerçant, consomment beaucoup de vin mais également en commercialisent un volume important grâce à leur accès privilégié sur l’océan, notamment par la conquête romaine de la Grande Bretagne (43 après J-C).
On comprend aisément l’intérêt économique qu’il y avait à s’affranchir des importations onéreuses des amphores en provenance du sud.
« Stabon en 14 avant J.-C ne mentionne pas de vignoble à Burdigala et que Pline, en 70, cite la vitis biturica à l’égal de l’allobrogica ». On peut donc situer assez précisement dans cette demi-centurie la naissance des premiers vignobles bordelais dans la région des Graves.
N’ayant pas de cépage local, les bituriges vont sélectionner et créer un cépage donnant « une vigne féconde, qui s’accommode d’un sol pauvre, qui supporte le froid, qui vieillit bien » selon les auteurs latins. Selon Louis Levadoux et Guy Lavignac la biturica trouverait ses origines dans les Pyrénées soit à partir d’une lambrusque sauvage soit à partir du cépage basque Txakoli.
Après le déclin de l’Empire et 5 siècles d’invasions, les moines sauvent le capital génétique de la Biturica en conservant des parcelles autour des églises et des abbayes.
Deux éléments sont à retenir à propos de la biturica :
- Il est aujourd’hui admis qu’il est le cabernet franc actuel ou son proche ancêtre.
- Les populations trouvées dans les Landes de Gascogne, le Béarn ou dans le vignoble de Bordeaux montrent une grande diversité génétique, expliquant les multiplications variétales qui en sont issues.
Au fil de l’histoire…
Les sélections variétales au cours des siècles vont donner des familles de cépages propres à chaque région viticole du royaume de France, tel pour l’Aquitaine, les Carmenets.
Cabernet serait une déformation linguistique de carmeneth. L’origine du nom n’est pas certaine et plusieurs hypothèses se font face. Certaines rattachent le mot cabernet à la couleur carmin, quand d’autres tendent à dire que l’origine viendrait de l’arabe et signifierait vigne. Seul le suffixe « et » semble mettre d’accord tout le monde signifiant petit en occitan en rapport avec la taille des baies de Cabernets.
Au travail de sélection locale, va s’ajouter des apports extérieurs au gré des aléas historiques.
Au Moyen Âge, les pèlerins de retour de Saint-Jacques-de-Compostelle vont ramener du Pays basque espagnol en France un cousin du cabernet franc, le fer servadou. La superposition de la carte des chemins de Saint Jacques avec la diffusion de ce cépage est frappante.
Les interactions vont au cours des siècles devenir exponentielle, comme l’illustre le schéma ci-dessous portant sur l’étude ADN de « seulement » 2344 cépages réalisée le Laboratoire INRA-SupAgro de Montpellier en 2012
Ce qui donne en vue simplifiée pour les principaux cépages rouges bordelais et de leurs proches parents :
La première génération d’hybrides : hybrides producteurs directs (HPD)
Suite à l’apparition de l’oidium (1845) puis du mildiou (1875), conséquence de la crise du phylloxéra (1863), au XIXeme siècle arriveront les premiers « hybrides » issus du croisement entre les vignes européennes (vitis vinifera) et les vignes américaines (vitis labrusca ou vitis riparia).
Cette hybridation était une réponse alternative par l’évolution du matériel végétal à la solution d’une lutte chimique. Elle représentera la création de plus de 1700 hybrides.
Leur résistance au mildiou, à l’oïdium et leur productivité importante ont été adoptés par les viticulteurs français. Ils représentent plus de 30% du vignoble en 1958 soit 400 000 ha. (Bouquet, 2009 ; Masson et al., 2008) permettant la production de volumes importants de vin à bas coût.
Considérés comme peu qualitatifs, « faisant des vins qui rendent fous » en fabriquant trop de méthanol, mais surtout trop productifs sur les terroirs non viticoles qui les sur-nourrissaient. Résultat, en concurrence directe avec les régions viticoles historiques, ils ont été bannis !
Dès 1934, les hybrides américains sont interdits en France. Cette interdiction est à mettre en parallèle avec la création de la notion d’AOC le 30 Juillet 1935.
L’évolution qualitative des vins, et le développement de la la lutte chimique conduisent à leur déclin. Ces variétés aujourd’hui représentent seulement 1 à 2% du vignoble soit un peu moins de 8 000ha pour une vingtaine d’hybrides autorisés (malgré le reclassement par décret en 1957).
L’échec des HPD a été longtemps un traumatisme pour la filière viticole qui, durant des décennies, a limité ses recherches variétales à l’amélioration qualitative en déléguant totalement la prophylaxie à l’amélioration des traitements chimiques.
Quelques exemples de cépages hybrides :
En fonction du décret du 18 avril 2008, définissant la liste des cépages dont la culture est autorisée en France,
sachant que chaque AOC ou IGP définie sa propre liste restrictive dans son cahier des charges.
Interdits | Autorisés |
· le clinton
· le noah · le jacquez · l’herbemont · l’othello · l’isabelle |
· Maréchal Foch
· Oberlin · Chambourcin · Colobel · Landal · Seinoir · Rayon d’or · Seyval · Ravat |
Nous reviendrons un peu plus loin sur les cépages hybrides de nouvelle génération, mais il est important de retenir que les hybrides de première génération ont 50% de leur patrimoine génétique issu des cépages européens et 50% issu de son parent amérindien.
Diversité variétale des vignobles français :
Sur 210 cépages autorisés en France, 10 représentent à eux seuls plus de 70 % de la surface plantée en vignes .
Il faut cependant fortement nuancer cette apparente uniformité par l’effet terroir. Prenons pour exemple les vins issus du malbec bordelais qui n’a rien à voir le côt noir de cahors qui sont pourtant le même cépage. D’égale façon un cabernet sauvignon des sols graveleux du Médoc est très différent d’un cabernet sauvignon des argiles d’Entre Deux Mers. On comprend que la mention « subspontané » définie dans le premier paragraphe joue pleinement.
À quelques rares exceptions, l’encépagement (répartition des cépages qui constituent un vignoble) ne se construit pas sur un mono cépage mais par la juste répartition variétale en fonction du terroir…
La vie d’un cépage s’inscrit dans le temps. Il apparaît pour répondre à un besoin spécifique et disparaît avec la venue d’un matériel végétal plus performant… Dans ces conditions, hormis satisfaire à une certaine nostalgie, un vin issu d’un cépage rare a avant tout un intérêt par son originalité plutôt que par ses qualités intrasec…
La similitude entre la biturica originelle et le cabernet franc actuel est là pour le confirmer, tout autant que les cépages contemporains dont il est le géniteur, très différents du cabernet franc, sans pour autant avoir pu le remplacer.
Un autre exemple intéressant de flux et de reflux d’intérêt est le malbec bordelais :
- Cépage historique du bordelais, il a représenté jusqu’à 80% des vignobles de Blaye et Bourg avant le phylloxera.
- La nouvelle nécessité de greffage lui fit perdre ses vertus passées: devenant très sensible à la pourriture et trop productif.
- Avec les exceptionnelles gelées de 1956, il a quasiment disparu de l’encépagement bordelais…
- Seule la venue de nouvelles sélections clonale du cépage ont permis de retrouver ses qualités originelles et son retour progressif dans l’encépagement bordelais notamment sur la rive droite sa terre originelle de prédilection.
Les enjeux du réchauffement climatique :
Sans rentrer dans le débat des causes du réchauffement climatique, le tableau ci-dessus montre qu’elle est significativement tangible en viticulture.
Ces vendanges prématurées ainsi que la chaleur ont de multiples contraintes. Cela abîme le raisin, fait monter le taux de sucre (qui définit le degré d’alcool), fait chuter l’acidité, perturbe le développement des arômes, donc le goût du vin et même sa couleur.
Si cette tendance venait à ce confirmer, cela induirait que l’encépagement de nos vignobles loin de se figer devrait continuer à évoluer d’égale façon que les 2000 ans passés, en développant de nouveaux cépages aux caractéristiques en adéquation avec ces nouvelles données climatiques.
Les vignes, une culture gourmande en pesticides :
Face aux enjeux environnementaux et sociétaux, les pratiques de prophylaxies pratiquées jusqu’à ce jour en viticulture ont atteint leurs limites.
Les cépages d’origine européenne sont particulièrement sensibles aux pathogènes d’origine amérindienne… alors que les cépages hybrides directs ont démontré une résistance naturelle à ces mêmes maladies grâce à leur patrimoine génétique issu de leur parent américain.
Résistance aux maladies et adaptation aux évolutions climatiques sont donc les objectifs de la prochaine génération de cépages, tout en conservant ou en adaptant les qualités acquises par les précédantes sélections.
Les cépages de demain :
On connaît déjà leur nom : PIWI acronyme de « Pilswiderstandsfähig », en allemand dans le texte… qui peut se traduire par « Capable de Résister aux Maladies Chryptogamiques ».
On peut affirmer que les cépages de demain ne peuvent se construire que par le capital génétique actuel et passé, préservé dans les conservatoires ampélologiques disséminés en France et dans le monde, pour éviter les travers des HPD.
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Pour faire simple ils possèdent plus de 97% du génome de Vitis vinifera, plus les gènes spécifiques de résistance des espèces américaines ou asiatiques.
Grâce aux progrès techniques, la validation d’une nouvelle variété par son inscription au catalogue du Comité technique permanent de la sélection, est ramenée à env. 15 ans, au lieu de 25 ans précédemment.
Deux philosophies :
- Les Allemands et les Suisses ont déjà obtenu des cépages qui sont commercialisés depuis plusieurs années en ayant fait le choix d’une résistance monogène
- Inconvénient, la résistance peut être contournée par une simple mutation génétique des pathogènes visés (un peu ce que l’on redoutait avec la grippe aviaire)
- Avantage, une réponse technique plus rapide
- La France par l’intermédiaire de l’INRA a fait le choix d’une résistance multisite réduisant les risques d’adaptation des pathogènes dans le temps. Par contre, la mise en commercialisation des premiers cépages a pris du retard comparativement aux cépages outre Rhin.
Et après …
Des parcelles témoins sont mises en place par les AOC pour définir si ces nouveaux cépages PIWI sont aptes à produire des vins correspondant à la typicité de l’appellation.
Une vraie volontée…
Les acteurs de la filière viticole ont engagé une demande auprès de l’INAO pour que 5% des surfaces AOC puissent déroger aux règles fixées par leurs décrets pour implantanter ces nouveaux cépages afin de réduire significativement le délai de leur éventuelle intégration dans l’encépagement de demain des AOC… La démarche est tellement en opposition avec les usages qu’elle mérite véritablement d’être saluée…
Sources:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vigne_sauvage
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_vigne_et_du_vin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vitis_vinifera
https://www.terredevins.com/degustations/connaitre-cepages-hybride-metis-croisement/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_des_Carmenets
http://www.osmin.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=69&Itemid=473&lang=fr
http://vigneronsbretons.over-blog.net/article-21165059.html
http://www.oiv.int/public/medias/5861/fr-distribution-vari-tale-du-vignoble-dans-le-monde.pdf
https://www.ca-espace-champagne.com/rechauffement-climatique-destruction-creatrice-de-vignes/
https://www.piwifrance.com/les-c%C3%A9pages-r%C3%A9sistants/
https://lactuduvin.wordpress.com/2016/09/12/le-premier-vin-de-bordeaux-issu-de-cepages-resistants/
http://www.vinopole.com/uploads/tx_vinoexperimentation/Varietes_resistantes_ResDur.pdf
4 Réponses à “Histoire des cépages … pour mieux comprendre ceux de demain”
Bonjour,
Subsp. signifie sous-espèce et non subspontané. une subdivision à l’intérieur d’une espèce en botanique
il existe deux sous-espèces pour Vitis vinifera :
Vitis vinifera subsp. vinifera ( =sativa) : cela correspond à l’ensemble des cépages
Vitis vinifera subsp. sylvestris : cela corrrespond à la vrai lambrusque.
cordialement
Bonjour, merci pour cette précision. Je corrige la chose. Cordialement
Je suis tout à fait d’accord avec André.
En effet, en biologie, l’abréviation subst. signifie sous-espèce.
Une sous-espèce est encore proche de l’espèce mais déjà avec des caractéristiques de spéciation ce que pourrait ou non donner lieu, peut être un jour, à une nouvelle espèce…
Bonjour. Pour faire suite à votre commentaire et à celui d’André, J’ai corrigé l’imprécision que vous avez tous deux observée. ;-)… Cordialement